L'époque est arrivée ensuite pour moi d'accomplir le service militaire. J'avais demandé la musique, ce qui me permettait de continuer les bals de mariage et les dimanches en matinée à Clemenceau.
Heureusement, car nous étions en pleine guerre d'Algérie, et pour la musique, il n'en était pas beaucoup question. A part quatre ou cinq éléments, les autres venaient de fanfares de campagne et le répertoire se limitait à la Marseillaise et les pas redoublés pour les défilés. Le capitaine, chef de musique, qui n'était pas très militariste, se désespérait de ne pouvoir faire mieux. Nous étions de garde une nuit sur deux, soit dans les casernes, soit à surveiller les dépôts de munitions.
Un jour, est annoncée pour le lendemain la visite du Maréchal Juin: alors, récupération rapide de tout le monde pour la prise d'armes et le défilé. Juste le temps d'une répétition pour des gars qui n'avaient pas soufflé depuis une semaine dans leur instrument. Et c'est là que le capitaine Pujo eut cette phrase qui m'est toujours resté gravée, car elle n'a jamais cessé d'être d'actualité: "Si vous vous trompez de note et que ce n'est pas à découvert, ce n'est pas grave, mais surtout, marchez au pas, car les gens ont de grands yeux et de petites oreilles".
Il était aussi très au courant que j'animais des bals, et il fermait les yeux, car à l'époque, on remplissait des feuilles de SACEM notifiant les morceaux joués. J'y inscrivais ses compositions, car il était membre de la SACEM: un service en vaut un autre.
Un samedi soir, je devais animer avec mes collègues le bal d'élection de la Reine de Combourg, mais j'apprends le vendredi que le lendemain, j'étais de garde. Je m'arrangeais pour aller faire le fameux bal, retour aussitôt à ma garde, ni vu ni connu. Manque de veine, le journal du lundi relatait cette élection avec des photos sur une desquelles j'apparaissais en premier plan. Je fus condamné à huit jours de prison pour abandon de poste. Inutile de dire que je n'y étais pas souvent, car la nuit, avec l'accord des copains, j'allais dans mon lit et je rejoignais la prison le lendemain matin. Pas longtemps, car le dimanche suivant, dans un restaurant chic de Rennes, avait lieu un bal animé par l'orchestre militaire et l'on avait besoin de ma participation, donc répétition tous les jours.
La hantise était de partir en Algérie, le capitaine voulant me garder et voyant qu'une jeune fille venait me chercher , me propose de rester si je me mariais. Qui fut dit fut fait, mais je venais à vingt ans de faire la plus grosse bêtise de ma vie, qui allait entraîner pour moi des suites catastrophiques, d'autant plus que je suis parti en Algérie dix jours après les autres, direction Tizi-Ouzou. La vie était rude et la nourriture sur le piton n'était pas faite pour des sujets ayant le foie fragile, alors je me suis retrouvé à l'hôpital. Il faut dire que là, j'ai eu un peu de chance car le médecin-capitaine adorait la musique et m'a gardé trois mois comme aide-infirmier, puis retour en France jusqu'à la libération après 28 mois.
Retour à l'imprimerie et à mes bals avec hélas en plus, une charge de famille.
Ce début à la musique n'a rien d'exceptionnel, et pour emprunter quelques mots à Aznavour: "je vous parle d'un temps que les moins de 75 ans ne peuvent pas connaître". C'était la vie des musiciens de l'époque, car il n'y avait pratiquement pas de professionnels. Dans la branche classique, plusieurs professeurs du Conservatoire, assurant aussi l'orchestre du théâtre, étaient employés à la mairie avec des heures détachées pour leurs activités artistiques. Le musicien professionnel n'avait aucune couverture sociale et pas de retraite.
Retour à l'imprimerie et à mes bals avec hélas en plus, une charge de famille.
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