POURQUOI LE SAXOPHONE ?

A l'âge de quinze ans, je n'avais pas d'aptitude pour le sport (cela ne s'est pas arrangé par la suite) et mes parents ne le souhaitaient pas. Il fallait bien un dérivatif, mais quoi ? J'étais déjà apprenti dans une imprimerie où j'avais atterri parce que mon père y travaillait depuis longtemps et y était un ouvrier modèle (il s’avérera par la suite que le dicton "tel père tel fils" était dans ce cas précis une erreur grossière). L'apprenti plus âgé que moi s'appelait André Jagu, il jouait du saxophone et enchantait la galerie lors de fêtes à l'atelier. De plus, mon père avait entendu en captivité un autre prisonnier qui pratiquait cet instrument, de quelle façon? On peut être sceptique sur la qualité du son à cette époque.

L'instrument en vogue dans ces années était l'accordéon mais hors de question pour moi, avec une opposition paternelle très ferme : "Je ne veux pas que mon fils mette les pieds dans un bal!". Par contre, un de ses camarades dirigeait une harmonie, il lui parle de son manque de saxophonistes, la décision fut donc prise: je jouerais du saxophone.

Un retraité qui avait fait partie d'harmonies dans le Nord fut chargé de m'enseigner le solfège (dont j'avais déjà des bases) et aussi de trouver un instrument pas cher. Ce fut chose faite avec un instrument tel que l'on peut en voir dans les greniers ou dans les reliques des collectionneurs pour la somme de 14000 francs de l'époque.

Quant à la rétribution pour les cours, cela se chiffrait à un paquet de tabac par mois.

  Il y avait des consignes de ne jouer que la méthode et surtout pas de chansons. Mon brave professeur est décédé après quatorze mois de cours, et me voilà livré à moi-même.

Une troupe se dénommant "Music Hall Armor" faisait des spectacles variés (chanteuse, clowns, sport, trapèze) avec l'accompagnement d' un orchestre dont s'occupait André Jagu qui m'embaucha dans cet ensemble hétéroclite.


Un peu plus tard, un batteur nommé Albert Lussot passant près de la maison de mes parents entend du saxophone. Il sonne à la porte pour s'enquérir de l'identité du saxophoniste, et mon père répond que c'était son fils. Alors là, il se passe un miracle sur la position paternelle car le but était de faire un bal. Ce fut d'abord un refus, mais Albert Lussot propose un cachet de 1500 francs et mon père donne son accord. C'était à l'occasion d'un bal de pompiers le jour de la Sainte Barbe, car dans toutes les communes possédant un corps même minime de pompiers, c'était traditionnel, d'où pénurie de musiciens. La clientèle n'était pas difficile, car je ne me souviens pas du nombre de fois que j'ai repris les trois seuls morceaux que je connaissais.

Mais qu'importe, j'avais mis les pieds dans l'engrenage et cela a continué avec un orchestre de jeunes managé par le père de l'un d'eux. Ma côte avait baissé car je ne touchais plus que 800 francs. Le manager en question était très inconscient puisqu'il réussit, je ne sais par quel hasard, à traiter deux réveillons prestigieux assurément pas faits pour nous qui étions des débutants.

Nous avons fait une répétition chez Mme Fresnel, musicienne avec une grande expérience de ce métier. Je suppose qu'il ne lui a pas fallu longtemps pour juger notre niveau et je me suis souvent demandé pourquoi elle avait laissé sa fille Joëlle partir dans cette galère, peut-être pour nous éviter le naufrage.

A Noël, nous étions à l'hôtel de la Croix-Rouge à Saint-Brieuc, où se produisait habituellement une des meilleures formations régionales, grande spécialiste de tangos. Heureusement, nous avions pour l'occasion Joëlle, une pianiste de grande qualité qui assurait pratiquement tout le travail. Je n'ai pas la prétention d'être ensuite le meilleur, mais disons le moins mauvais. Pour tout arranger, nous n'avons pas d'éclairage sur nos pupitres et la salle n'était éclairée que par un projecteur tournant: j'attendais son passage pour attraper quelques notes et la soirée se passa comme cela...

Pour la Saint Sylvestre, un taxi avec chauffeur nous attendait à la gare et réception en arrivant à l'hôtel Trestraou sur la plage de Perros-Guirrec. Je venais, pour les réveillons, de faire l'acquisition de mon premier Selmer que j'avais gagné avec mon antiquité reprise 12000 francs (elle n'avait donc perdu que 2000 francs). Notre scène était en hauteur, et en prenant place au début du bal, le trompettiste malencontreusement tape dans mon stand de saxophone  et voilà l'objet de mes rêves deux mètres plus bas, bien sûr inserviable en l'état. Je ne me souviens plus du restant de la soirée, sauf que la patronne ulcérée par la supercherie nous a flanqués dehors, et comme j'étais le dernier à sortir, c'est moi qui ai pris un bon coup de pied dans le postérieur. Pourtant, je n'avais fait aucune fausse note, puisque mis hors jeu dès le début. Et enfin, plus de taxi pour nous ramener à la gare qu'il fallut regagner à pied. Néanmoins, chaque réveillon nous avait rapporté à chacun 5000 francs.

La leçon ayant néanmoins porté, je me suis perfectionné en faisant des remplacements avec souvent des musiciens expérimentés et compétents.


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